Mon frigo est un vieux frigo. Il coule même à l'intérieur, ce qui fait que je dois vérifier de temps en temps si le pot de yogourt duquel on a coupé le bord, tout bruni par l'eau, est plein d'eau glacé, sinon ça coule dans le fond (et comme j'oublie souvent, je n'y met plus d'aliment). Le frigo est jaune vieilli, allez savoir si c'est sa couleur originel, et ma mère, étant un peu tanné de la couleur, a recouvert les deux portes de papier fleuri collé avec du mod podge, dans le temps que c'était le gros truc déco. Ce frigo, il a appartenu à mes grand-parents maternels, il était là quand ma mère était toute petite. Bref, il a du vécu. Il y a même des traces de crayons de couleur à l'intérieur, allez savoir ça date de quand exactement. Je crois même qu'il est rouillé à certains endroits, qu'il y a des trous dans le plastique, des tâches qui ne partiront jamais. Il a des airs tout à fait pittoresque, limite rustique, mais pas tout à fait, c'est pas un frigo rond avec une poignée de char, c'est un truc semi-moderne, lourd comme c'est pas possible.
Finalement, il y a ce bruit. Non pas un bruit tintamarresque ou excessif à vouloir tirer l'appareil avec une douze (comme le frigo de la salle de repos à l'hôpital), mais plutôt un bruit un peu sourd, un grondement, qui part de temps à autre (mais pas si souvent), un ronronnement même. Ce bruit, ici à Montréal, c'est le seul qui m'aide à dormir. Parfois même, je voudrais pouvoir me percher en haut du frigo, me rouler en boule avec une couverte, et attendre le ronronnement, sentir la vibration qui vient et qui émergerait dans tous les os de mon corps. C'est presque érotique, mais je crois surtout que ça évoque chez moi un bien être fœtal.
Mon frigo, c'est ma mère. Pas celle avec qui je suis amie maintenant, pas l'être humain que j'appelle maman, c'est ma mère ma petit maison d'être qui n'existe pas encore. C'est ma sécurité, mon lien filial (pour le peu de chose que ça symbolise encore à notre époque). C'est ce truc complètement encombrant, avec des défauts, des signes de vieillesse. Quand j'essaie de retrouver un semblant de paix dans l'urbanité grouillante, criante, tonitruante, et que même chez moi n'est pas vraiment chez moi parce que je subie la vie de mes voisins, il y a mon frigo. Il a toujours été là, même débrancher et vide, il trône fièrement, exposant son petit côté retro démodé, son petit côté excentrique avec sa devanture fleuri qui s'effiloche tranquillement.
J'ai cru le perdre il y a pas si longtemps. La lumière du frigo a sauté, elle qui a duré si longtemps, et comme le ronronnement s'est éteint lorsque j'ai ouvert la porte, j'ai cru que c'était la fin. J'étais complètement paniquée, j'essayais tant bien que mal de savoir si c'était le point de non retour. On dit toujours que les électros de jadis sont incassables, mais tout le monde meurt un jour ou l'autre. Finalement, le grondement est reparti, fidèle au poste, comme le battement de son cœur, pour m'indiquer que tout allait bien, que ce n'était qu'une petit complication de rien, que ça pouvait même se réparer... Mais, je ne sais pas tout à fait pourquoi, je n'ai pas changé la lumière.
Les aliments restent dans la noirceur, toujours. Et même, lorsque j'ai vidé mon verre d'eau de chevet la nuit et que j'étouffe, il n'y a plus cette lumière pour me faire plissé les yeux et me rappeler que j'ai belle et bien mis un pied devant l'autre pour me rendre dans la cuisine. Il n'y a que la noirceur, et le bruit.
Après une longue journée de travail aujourd'hui, après avoir braver la tempête avec mon petit pantalon bleu d'hôpital, mes souliers plein de neige, mes bas mouillés, couchée sur le futon, sous ma couverture de polar, j'écoute le bruit du frigo qui me chante une berceuse. Malgré les pieds qui ont encore froid, les mains en poing près de mon coup pour réchauffer mes doigts, j'ai cette chaleur étrangement qui s'installe à l'intérieur de mon corps, comme si mon âme prenait la forme du poupon que j'étais, enveloppé dans la couverte de lainage blanche que l'on avait, et que ma mère me tient dans ses bras sur la chaise berçante en bois qui se pliait.
J'ai la Première Gymnopédie d'Erik Satie qui me vient à l'esprit, bien que c'était pendant que ma mère était enceinte de ma soeur qu'elle la jouait au piano et c'est pour calmer les pleurs de celle-ci lors de sa naissance que mes parents la lui faisait écouter. C'est peut-être justement à cause de ce contexte particulier que cette pièce de musique m'a toujours fait pensé à une berceuse maternelle, la chaleur d'une chambre un matin d'hiver à la toute fin de l'ensoleillement, quand il fait déjà nuit, sur le bord de la mer au coin d'une dune de sable... Ou alors c'est la Valse de l'idiot de Michel Rivard, je confond toujours les deux, probablement parce qu'elles ont habité mon enfance de façon particulière.
Mais, à bien y penser, c'est plutôt Erik Satie, avec ses notes un peu plus traînantes, cette candeur un peu froide du passé, les souvenirs que ça évoque : le piano noir dans l'appartement de Ville Lasalle, les gros divans en bois avec les immenses cousins verts (que sont-ils devenus déjà? il me manque incroyablement), la table et les chaises avec le verni qui s'enlevait, le lit de mes parents qu'avait monté mon père, le petit garde-robe communiquant qui était mon espace secret dans lequel je m'invitais des mondes imaginaires... des souvenirs pleins de chaleur, mais si lointains et impalpables à la fois.
C'est dans cet entremêlement de pensée diverses, toute emmitouflée, seule dans mon appartement, le sourire paisible, que je m'endors peu à peu en ce moment, au son de mon frigo.
samedi 8 mars 2008
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3 commentaires:
c'est vraiment très joli. vraiment.
je te laisse à ton bruit de frigo et je vais aller me coller la face sur mon chat et lui faire faire des ronrons.
Je me souviens tellement de ce frigo tout fleuri, dans le temps qu'il était chez ta mère dans la maison-semi-détaché à Sainte-Madeleine! Woah...ça remonte à loin, avoue!
Vraiment loin, je me souviens qu'une fois, on était folle dans l'auto devant le Metro en attendant ma mère. Je sais pu pourquoi, mais probablement pour une raison complètement absurde qui nous faisait bien marrer.
Ça je me souviens qu'on s'était bien marrer il y a longtemps, mais avec le temps, les hommes, le niaisage de ti-fille, c'était rendu bien moins marrant. En fait, étais-ce vraiment cela? J'ai l'impression d'avoir oublié certaines parties, certains détails... ou alors simplement le fossé s'est creusé de lui-même, va savoir.
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